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le Dieu des armées : c’est-à-dire, le Dieu de la justice, le Dieu qui envoie le fort au secours du faible opprimé, le Dieu qui renverse les dominations superbes, qui crée Cyrus contre Babylone, brise en faveur des peuples les portes d’airain, change le bourreau en soldat et le soldat en hostie. Mais la guerre, comme les plus saintes choses, peut être retournée contre son but, et devenir l’instrument de l’oppression. C’est pourquoi, pour juger de sa valeur dans un cas particulier, il faut connaître quel fut son objet. Toute guerre de délivrance est sacrée, toute guerre d’oppression est maudite.

Jusqu’aux croisades, la défense du territoire et du gouvernement légitime de chaque peuple occupa presque seule et retrempa la sainteté du glaive. Le soldat mourait aux frontières de la patrie, et ce nom était le plus élevé qui inspirait son cœur au moment des batailles. Mais quand Grégoire VII eut éveillé dans l’esprit de ses contemporains l’idée de la république chrétienne, l’horizon du dévouement s’étendit avec celui de la fraternité. L’Europe, confédérée par la foi, comprit que tout peuple catholique opprimé, quel que fût l’oppresseur, avait droit à son assistance, et pouvait mettre la main sur le pommeau de son épée. La chevalerie naquit ; la guerre devint non-seulement un service chrétien, mais encore un service monastique, et l’on vit des bataillons de moines couvrir de la haire et du bouclier les postes avancés de l’Occident. Il fut clair à toute âme baptisée qu’elle était la servante du droit contre la force,