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science, sa foi. Il ne peut s’affranchir de l’enseignement qui lui a été donné, qu’en acceptant de nouveaux enseignements, dont il se croira peut-être le juge, mais dont il ne sera au fond que le serviteur. Aussi, quand vint au monde Jésus-Christ, le libérateur des intelligences, il disait de la mission que son Père lui avait confiée : Le Seigneur m’a envoyé pour évangéliser les pauvres[1]. Pourquoi les pauvres ? Sans doute parce qu’ils sont le plus grand nombre, et que toutes les âmes étant égales devant Dieu, quand il les pèse dans la balance de l’éternelle justice, l’âme du peuple doit l’emporter ; mais aussi et bien davantage encore, parce que le peuple, dans son impuissance d’apprendre et de savoir, a besoin d’un maître qui le mette en possession de la vérité par un enseignement sans frais et sans péril.

S’il en est ainsi du peuple, c’est-à-dire de la presque totalité du genre humain, n’y aura-t-il pas du moins une exception pour ceux que nous avons appelés les hommes éclairés ? Ne pourront-ils briser avec l’enseignement qui les a faits ce qu’ils sont, et se reconstruire eux-mêmes, par leurs propres forces, une intelligence qui vienne d’eux ? C’est, il est vrai, leur prétention. Vous vous en souvenez, Messieurs, lorsque vint l’époque où vous sortîtes de la famille pour entrer dans la société, il vous sembla qu’il s’était éveillé en vous une puissance nouvelle que vous appelâtes raison. Vous vous prîtes à adorer

  1. Saint Luc, chap. IV, vers. 18.