Page:Lacroix - Contes littéraires du bibliophile Jacob à ses petits-enfants, 1897.djvu/142

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aubaines d’autrefois et son aventureux vagabondage dans Paris, honteux qu’il était de se voir réduit à voler le chétif souper et le vin aigrelet de son tyran. Combien de fois, en reconnaissant ses frères et amis au milieu de l’auditoire du Savoyard, combien de fois ouvrit-il la bouche pour les appeler à son secours ! Mais un coup d’œil jeté sur son grotesque déguisement lui faisait monter le rouge au front et le forçait à se taire. Il n’aurait pas rougi d’être pris en flagrant délit dans l’accomplissement d’un vol adroit ou audacieux, et il se croyait avili par son costume de baladin !

Il ne se contenta pas de faire main basse sur le maigre ordinaire du Savoyard, qui, s’apercevant de la diminution des parts à la mesure de son appétit et de sa soif, grondait entre ses dents et rudoyait son premier page, seul chargé de régler et de diriger toutes les dépenses de la table. D’Assoucy se réjouissait des mauvais traitements qu’il attirait ainsi sur le dos de son compagnon. Quant à lui, qui avait le rôle de présenter le bassin à la ronde pour la récolte pécuniaire parmi les auditeurs du Savoyard, il faisait rapidement passer les pièces de monnaie dans sa poche, et souvent rapportait le bassin vide au chanteur aveugle, qui murmurait contre le malheur du temps et le resserrement des bourses. D’Assoucy raflait toujours la meilleure partie de la recette.

Le lundi 14 avril de l’année 1617, il attendait que son maître eût achevé de chanter un nouvel air sur les courtisans ; et, assis au coin de la balustrade de l’orchestre, il contemplait de loin, en se rongeant les ongles, trois malheureux, qu’on venait d’attacher au grand gibet,