Page:Lacroix - Contes littéraires du bibliophile Jacob à ses petits-enfants, 1897.djvu/144

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à la poésie et à la musique ; mais le malin page, songeant à profiter de cette abondante recette qui ne se renouvellerait peut-être pas de sitôt, détournait très adroitement à son profit le cours de ce Pactole inusité, qui roulait de plus grosses pièces qu’il n’en avait jamais vues dans son plat de cuivre ; il se jetait si avidement sur ce butin, que ses dix doigts ne lui suffisaient pas pour prendre ; et l’aveugle, à qui revenait, après chaque tour de quête, le bassin allégé de la moitié de son poids, n’était pas peu surpris que la générosité de l’auditoire fit tant de bruit pour un si modeste résultat : depuis longtemps il soupçonnait la probité de ses pages de musique, et il prêta l’oreille au son des espèces de billon et d’argent, qu’il comptait tout bas à mesure qu’elles tombaient dans le bassin ; ses calculs se trouvèrent faux de tout ce que s’était adjugé le voleur, avant de rendre le reste de sa collecte. Le Savoyard faillit éclater de rage, en acquérant la preuve certaine de la supercherie de son second page de musique, et il fixa sur lui des yeux blancs sans regard, comme pour épier un geste ou un mouvement de main accusateurs ; il interrogeait de toute la puissance de l’ouïe les bruits vagues et indécis qui pouvaient l’aider à surprendre en flagrant délit le larron, de manière à lui ôter la ressource de nier l’évidence. D’Assoucy se fiait aveuglément à l’infirmité permanente de son maître et à l’absence momentanée de son camarade, pour cacher à peine les continuels larcins qui enflaient ses poches, lorsque le Savoyard, qui se tenait derrière lui, le coiffa d’un énorme coup de poing et l’arrêta la main pleine.

— Mordié ! s’écriait-il en blasphémant et en réitérant les