Page:Lacroix - Contes littéraires du bibliophile Jacob à ses petits-enfants, 1897.djvu/146

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pendant la nuit, renversé et brûlé : le cadavre du maréchal d’Ancre, horriblement outragé, servait de jouet et de trophée à ces misérables, parmi lesquels des femmes, d’horribles mégères, se distinguaient par leur acharnement sur ces informes restes, souillés de sang et de boue. On chantait en chœur d’odieux couplets, on dansait autour de ce pauvre corps défiguré ; on mêlait le nom de la reine mère à celui de son ministre favori, dans un chaos de malédictions à la mémoire du défunt ; ensuite on traîna le cadavre vis-à-vis le Cheval de bronze et on le dépeça par morceaux, en criant toujours : Vive le roi ! Des paysans de la province achetèrent des lambeaux de cette chair saignante, pour l’emporter avec eux, et il y eut des monstres qui en mangèrent, pour mieux assouvir une haine abominable qui survivait à la victime.

— Mordié ! je veux aussi aller le voir, ce damné Italien ! dit le Savoyard, oubliant qu’il était aveugle. Vraiment, je ne le verrai point, mais je le toucherai et tâterai, à l’endroit de ses blessures, que j’eusse voulu faire moi-même. Viens çà, Charlot, conduis-moi, en pinçant du luth, tandis que je chanterai gratis la complainte du détestable Concini.

D’Assoucy, qui gardait trop de rancune à ce brutal aveugle pour se résigner à une plus longue servitude, crut l’occasion opportune pour s’enfuir, à la faveur du tumulte ; il eut soin d’emporter le petit trésor qu’il devait à ses vols journaliers et qu’il avait enfoui sous un pavé ; puis, se recommandant tout bas au dieu des aventuriers, il accompagna son maître, en jouant de la musique, pendant que celui-ci hurlait ses fureurs poétiques contre