Page:Lacroix - Contes littéraires du bibliophile Jacob à ses petits-enfants, 1897.djvu/200

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sans avoir pu se débarrasser du déguisement malhonnête, qu’il osait porter en public ; il ressentait tour à tour, par tout le corps, des frissons de glace et des ardeurs insupportables ; sa tête, échauffée par les fumées du vin d’Espagne, s’exaltait de plus en plus, et sa pensée confuse s’égarait à chercher quelque expédient pour sortir de ce mauvais pas, en trouvant des habits, du feu et un lit, dont il avait grand besoin.


Il s’était élancé lestement hors de la chaise, où il se voyait déjà prisonnier ; il s’enfuyait au hasard dans un jardin, où les masses noires des charmilles l’invitaient à se cacher ; il passait à travers les allées et les plates-bandes, renversant, brisant tout ce qui lui faisait obstacle, sans s’inquiéter de la direction qu’il suivait, pourvu qu’elle l’éloignât de la meute de ces gens armés de fourches, de bâtons et d’arquebuses, déchaînés contre lui et courant sur ses traces. Le découragement allait s’emparer de son moral non moins ébranlé que son physique ; déjà il se retournait pour se livrer, pour demander grâce, quand le terrain manqua tout à coup sous ses pieds et l’entraîna dans une chute perpendiculaire à trente pieds environ de profondeur ; il poussa un faible cri, en tombant dans une citerne ouverte presque au niveau du sol, et quoique étourdi, abasourdi, effrayé de cette chute inattendue, il eut la présence d’esprit, au moment où il plongeait dans l’eau, d’étendre les bras et de s’attacher à une corde qu’il rencontra sous sa main, par bonheur, et sans laquelle il eût été noyé infailliblement. Il se hissa hors de l’eau, à l’aide de cette corde flottante entre ses doigts crispés, et se reposa, tout essoufflé et transi, sur les bords