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Page:Lacroix - Contes littéraires du bibliophile Jacob à ses petits-enfants, 1897.djvu/278

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de douleur muette, elle voulut de nouveau admonester son fils et l’intéresser en faveur de l’innocente victime, qu’il traitait avec tant de rudesse et d’inhumanité.


— Je ne sais pas, en vérité, dit-elle en parlant à la sourdine, s’il faut savoir gré au sieur Langeli de t’avoir fait obtenir la grâce de jouer de ton instrument devant le roi. Je maudis aussi ton invention, qui a fait le malheur de notre petit Jean-Baptiste. C’est l’ambition qui te possède, Jacques ; tu veux être riche, tu veux devenir un personnage, comme monseigneur Langeli ? Mais, pour faire figure à la cour, tu devrais d’abord te déshabituer de boire, de boire sans cesse, d’être toujours entre deux vins… Tu ne me réponds pas ? Tu fais semblant de dormir, Jacques ? Écoute ta vieille mère, qui n’a pas longtemps à vivre et qui se désole à l’idée de te laisser l’enfant, ce pauvre enfant, que tu maltraites à plaisir, et que tu tuerais, si je n’étais pas là pour le défendre. Écoute-moi, Jacques : je prendrai l’enfant avec moi et nous irons ensemble, lui et moi, dans quelque troupe de bohémiens, où du moins il ne sera pas injurié, menacé, battu par son père. Quant à toi, tu n’es pas en peine de gagner ta vie, si tu cesses de boire : tu redeviendras comédien, dans quelque troupe ambulante, car c’est en vain que ton ami Langeli se flatte de l’espoir de t’enrôler dans la troupe royale de l’Hôtel de Bourgogne. Tu as encore la ressource de retourner à Troyes et d’y être, comme naguère, organiste de la cathédrale… Mais répondras-tu, méchant garçon ? Je te jure ma foi, que si tu n’as point pitié de mon enfant, que si tu le frappes, que si tu le prives d’air et de nourriture, que si tu le tiens