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une bonne action de rabelais

entrer dans l’église, voire même s’agenouiller sous le porche, comme les excommuniés qui font pénitence et qui attendent là une absolution plénière.

— C’est plutôt quelque bohémien qui se sera séparé de sa bande, dit la plus vieille de ces paysannes. Les bohémiens ne croient ni à Dieu ni à diable ; ils n’ont ni église ni curé ; ils naissent sans baptême et meurent comme des chiens, après avoir couru le monde en vivant de vols et de pilleries, car le meilleur métier, selon eux, est de tromper les pauvres gens et de s’enrichir aux dépens des chrétiens.

— Oh ! m’est avis que celui-ci ne s’est point enrichi et ne s’enrichira jamais ! dit en riant une commère, qui désignait du doigt la fille du prétendu bohémien, vêtue de haillons sordides, courant pieds nus sur le bord de la route et disparaissant tout à coup dans les taillis. Avez-vous vu la petite mendiante, qui s’enfuit à notre approche, comme une biche en chasse ?

— Nenni dea ! reprit une autre : elle ne mendie mie que je sache ! Bien au contraire ; elle est fière et orgueilleuse autant et plus qu’une princesse, et quand elle porte son pain à cuire au four banal, elle ne parle à quiconque et s’en va seule courant, et ne demandant rien à ceux ou à celles qui lui donneraient de bon cœur l’aumône pour l’amour de Jésus-Christ et de sa bienheureuse mère Notre-Dame.

— Si elle ne mendie et si le père ne vole, répliquèrent quelques bonnes langues, on ne comprend pas comment ils peuvent vivre de l’air du temps ; aussi bien, la farine coûte cher cette année, et il