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une bonne action de rabelais

faut du vrai argent pour en acheter chez le boulanger.

— Ce n’est pas l’argent qui leur manque, ce dit-on, s’écria une de ces femmes avec la satisfaction de paraître en savoir plus que les autres. La fillette a la renommée d’être habile à faire de la dentelle, et le garçonnet, qui a la malice d’un singe, fait la chasse aux vipères, qu’il s’en va vendre à Paris aux apothicaires pour faire des drogues.

— Il y a plus, ajouta une autre en baissant la voix, ce coquin de bohémien s’est emparé d’un champ en friche qui appartenait à défunt Jean le Court et qui est tombé en déshérence depuis sa mort. Le champ n’est pas de trop riche terre, de telle sorte qu’il y poussait plus d’ivraie que de froment, mais ce diable d’homme le cultive, au clair de la lune, et y sème des plantes vénéneuses, que lui achètent les sorciers pour en faire des philtres et des poisons. Écoutez bien cela et n’en soufflez mot, mes commères. C’est ce que m’a conté le gros chantre de l’église de Meudon…

— Silence ! interrompit celle qui marchait en avant. Voici venir messire le recteur, notre bon et digne curé, qui se rend au château pour visiter notre révéré seigneur le duc de Guise et madame la duchesse.

Le recteur et curé du village de Meudon était alors un savant illustre, un écrivain de grand renom, le fameux François Rabelais, qui avait été tour à tour prêtre et cordelier dans le couvent de Fontenay-le-Comte, médecin de l’hôpital de Lyon, médecin et secrétaire du cardinal du Bellay à Rome, religieux séculier de l’abbaye de Saint-Maur-des-Fossés près de Paris, et qui s’était fait connaître non seulement par des ouvrages de science