Page:Lafargue - La légende de Victor Hugo, 1902.djvu/19

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pour mettre le comble à sa joie, il ne manquait que le blason des Benni-bouffe-toujours du cortège, — le lapin sauté et leur arme, — la colossale seringue de carton.

Acteurs et spectateurs jubilaient. Il est vrai que les habitants des grands boulevards, désappointés de ce que l’on ne promenait pas le cadavre devant leurs portes, supputaient avec aigreur les sommes rondelettes qu’ils n’auraient pas manqué d’empocher ; le cœur ulcéré, ils se racontaient que des fenêtres et des balcons avaient été loués des centaines et des milliers de francs ; qu’en trois heures d’horloge on gagnait deux fois et plus le loyer de six mois. Mais le chagrin des grincheux disparaissait dans la réjouissance générale. Les brasseries à femmes du boulevard Saint-Michel débordaient sur le trottoir en échafaudage ; on achetait au poids de l’or le droit d’y cuire au soleil, en s’arrosant de bière frelatée. Les petites gens, installées aux bons endroits, dès la pointe du jour, qui avec une chaise, qui avec une table, un banc, une échelle, les cédaient aux curieux pour le prix de deux journées de rigolade et de vie de rentier. Les hôteliers, les cabaretiers, les fricoteurs de la race goulue souriaient d’allégresse en palpant dans leurs poches les pièces de cent sous que la fête rapportait : l’un d’eux disait d’un air très convaincu : « il faudrait qu’il meure toutes les semaines un Victor Hugo pour faire aller le commerce ! » Le commerce marchait en effet ! Commerce de fleurs et d’emblèmes mortuaires ; commerce de journaux, de gravures, de lyres en zinc bronzé, doré, argenté, de médailles en galvano, d’effigies montées en