Page:Lafargue - La légende de Victor Hugo, 1902.djvu/62

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des prêtres sceptiques, qui pendant la Révolution avaient jeté aux orties la soutane et le bréviaire. Et cependant une foi ardente s’éveille subitement dans son âme, le jour même que le trône et l’autel, l’un supportant l’autre, sont replacés sur leurs pieds. Il étrangle alors son voltairianisme et chante la religion catholique, ses pompes et ses pensions[1]. Les légitimistes ne reconnaissent-ils pas là le signe certain d'une foi sincèrement opportuniste ? Ils se montrent exigeants à l’extrême, quand ils demandent que ce catholicisme d’occasion survive aux causes qui l’avaient engendré. Ils n’avaient qu’à rester les maîtres du pouvoir, pour que Hugo conservât jusqu’à sa quatre-vingt-troisième année, la foi au Dieu des prêtres : mais il dût se rendre à l’évidence et suspendre son culte pour ce Dieu qui cessait de révéler sa présence réelle par la distribution de pensions. C’est ainsi qu’un banquier coupe le crédit de son client ruiné, filant sur la Belgique.

La Révolution de 1830 remit à la mode Voltaire et la libre-pensée ; Victor Hugo, ce tournesol, que sa nature condamnait à tourner avec le soleil, déposa, comme une cuisinière son tablier, son légitimisme et son catholicisme de circonstance. Il avait de nouveaux maîtres à satisfaire. Il adora le Dieu des bonnes gens de Béranger et brûla Jéhovah, le Dieu farouche et sombre, qui cependant convenait

  1. Dans une épître en vers de 1818, mais publiée en 1863, Hugo dit en parlant de lui-même : « ... J’ai seize ans... Je lis l’Esprit des Lois et j’admire Voltaire. » Victor Hugo raconté Tome I. 308).