Page:Lafargue - Le Droit à la paresse.djvu/18

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à Dornach et dans des maisons voisines, de ces misérables logements où deux familles couchaient chacune dans un coin, sur la paille jetée sur le carreau et retenue par deux planches… Cette misère dans laquelle vivent les ouvriers de l’industrie du coton dans le département du Haut-Rhin est si profonde, qu’elle produit ce triste résultat que, tandis que dans les familles des fabricants, négociants, drapiers, directeurs d’usines, la moitié des enfants atteint la vingt et unième année, cette même moitié cesse d’exister avant deux ans accomplis dans les familles de tisserands et d’ouvriers de filatures de coton… »

Parlant du travail de l’atelier, Villermé ajoute : « Ce n’est pas là un travail, une tâche, c’est une torture, et on l’inflige à des enfants de six à huit ans… C’est ce long supplice de tous les jours qui mine principalement les ouvriers dans les filatures de coton. » Et, à propos de la durée du travail, Villermé observait que les forçats des bagnes ne travaillent que dix heures, les esclaves des Antilles neuf heures en moyenne, tandis qu’il existait dans la France qui avait fait la Révolution de 89, qui avait proclamé les pompeux Droits de l’Homme, des « manufactures où la journée était de seize heures, sur lesquelles on n’accordait aux ouvriers qu’une heure et demie pour les repas. »[1]

  1. L. R. Villermé, Tableau de l’état physique et moral des ouvriers dans les fabriques de coton, de laine et de soie (1840). Ce n’était pas parce que les Dollfus, les Kœchlin et autres fabricants alsaciens étaient des républicains, des patriotes et des philanthropes protestants qu’ils traitaient de la sorte leurs ouvriers ; car MM. Blanqui, l’académicien Reybaud, le prototype de Jérôme Paturot, et Jules Simon, le maître Jacques politique, ont constaté les mêmes aménités pour la classe ouvrière, chez les fabricants très catholiques et très monarchiques de Lille et de Lyon. Ce sont là des vertus capitalistes s’harmonisant à ravir avec toutes les fois politiques et religieuses.