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V

Prières capitalistes


I. Oraison dominicale

Capital, notre père, qui êtes de ce monde, Dieu tout-puissant, qui changez le cours des fleuves et percez les montagnes, qui séparez les continents et unissez les nations ; créateur des marchandises et source de vie, qui commandez aux rois et aux sujets, aux patrons et aux salariés, que votre règne s’établisse sur toute la terre.


Donnez-nous beaucoup d’acheteurs prenant nos marchandises, les mauvaises et aussi les bonnes ;


Donnez-nous des travailleurs misérables acceptant sans révolte tous les travaux et se contentant du plus vil salaire ;


Donnez-nous des gogos croyant en nos prospectus :


Faites que nos débiteurs payent intégralement leurs dettes[1] et que la Banque escompte notre papier ;

  1. Le Pater noster des chrétiens, rédigé par des mendiants et des vagabonds pour de pauvres diables accablés de dettes, demandait à Dieu la remise des dettes : dimite nobis debita nostra, dit le texte latin. Mais quand des propriétaires et des usuriers se convertirent au christianisme, les pères de l’Eglise trahirent le texte primitif et traduisirent impudemment debita par péchés, offenses, Tertullien, docteur de l’Église et riche propriétaire, qui sans doute possédait des créances sur une foule de personnes, écrivit une dissertation sur l’Oraison dominicale et soutint qu’il fallait entendre le mot dettes dans le sens de péchés, les seules dettes que les chrétiens absolvent. La religion du Capital, en progrès sur la religion catholique, devait réclamer l’intégral payement des dettes : le crédit étant l’âme des transactions capitalistes.