Page:Lafargue - Pamphlets socialistes, 1900.djvu/126

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jamais connu que la pauvreté et la saleté. Ils ignorent ce qui est délicat, ce qui est bon ; leur épiderme épaissi et leurs sens abêtis n’éprouvent aucun dégoût.


Pourquoi m’avoir fait savourer le bonheur pour ne m’en laisser que le souvenir, plus cuisant qu’une dette de jeu ?


Mieux eut valu, ô Seigneur, me faire naître dans la misère que me condamner à y croupir après m’avoir élevé dans la fortune.


Que puis-je faire pour gagner mon misérable pain ?


Mes mains, qui n’ont porté que des bagues et qui n’ont manié que des billets de banque, ne peuvent tenir l’outil. Mon cerveau, qui ne s’est occupé qu’à fuir le travail, qu’à se reposer des fatigues de la richesse, qu’à échapper aux ennuis de l’oisiveté et qu’à surmonter les dégoûts de la satiété ne peut fournir la somme d’attention nécessaire pour copier des lettres et additionner des chiffres.


Mais, Seigneur, se peut-il que tu frappes si impitoyablement un homme qui n’a jamais désobéi à un de tes commandements ?


Mais c’est mal, c’est injuste, c’est immoral que je perde les biens que le travail des autres avait si péniblement amassés pour moi.


Les capitalistes, mes semblables, en voyant mon malheur, sauront que ta grâce est capricieuse, que tu l’accordes sans raison et que tu la retires sans cause.


Qui voudra croire en toi ?


Quel capitaliste sera assez téméraire, assez insensé pour accepter ta loi, —pour s’amollir dans la fainéantise,