Page:Lafargue - Pamphlets socialistes, 1900.djvu/72

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- Giffen a raison. Le Capital est Dieu, le seul Dieu vivant!


Quand l’enthousiasme judaïque se fut un peu calmé, Giffen continua:


- Aux uns sa présence se révèle terrible; aux autres tendre comme l’amour d’une jeune mère. Quand le Capital se jette sur une contrée, c’est une trombe qui passe, broyant et triturant hommes, bêtes et choses. Quand le Capital euro­péen s’abattit sur l’Égypte, il empoigna et souleva de terre les fellahs avec leurs bœufs, leurs charrettes et leurs pioches, et les transporta à l’isthme de Suez; de sa main de fer il les courba au travail, brûlés par le soleil, grelottant de fièvre, torturés par la faim et la soif: trente mille jonchèrent de leurs osse­ments les bords du canal. Le Capital saisit les hommes jeunes et vigoureux, alertes et bien portants, libres et joyeux; il les emprisonne par miniers dans des usines, dans des tissages, dans des mines; là, comme le charbon dans la fournaise, il les consomme, il incorpore leur sang et leur chair à la houille, à la trame des tissus, à l’acier des machines; il transfuse leur force vitale dans la matière inerte. Quand il les lâche, ils sont usés, cassés et vieillis avant l’âge; ils ne sont que des carcasses inutiles que se disputent l’anémie, la scrofule, la pulmonie. L’imagination humaine, si fertile cependant en monstres terrifiants, n’aurait jamais pu enfanter un Dieu aussi cruel, aussi épouvantable, aussi puis­sant pour le mal. - Mais qu’il est doux, prévoyant et aimable pour ses élus. La terre ne possède pas assez de jouissances pour les privilégiés