Page:Lafargue - Pamphlets socialistes, 1900.djvu/91

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indéfinissable, mais profond, mais irrévocable, les lie; ils ont mangé et bu de la même courtisane; ils ont communié sur le même autel.


L’amour, la passion sauvage et brutale, qui trouble le cerveau, pousse l’homme à l’oubli et au sacrifice de ses intérêts, la courtisane le remplace par la facile, la bourgeoise, la commode galanterie vénale, qui pétille comme l’eau de seltz et n’enivre pas.


La courtisane est le présent du Dieu-Capital, elle initie ses élus aux sa­vants raffinements du luxe et de la luxure; elle les console de leurs légitimes, ennuyeuses comme les longues pluies d’automne. Quand la vieillesse les saisit, les ride et les ratatine, éteint la flamme des yeux, enlève la souplesse des membres et la douceur de l’haleine, et les rend un objet de dégoût pour les femmes, la courtisane allège les tristesses de l’âge; sur son corps froid que rien ne rebute, ils trouvent encore le fugitif plaisir que leur or achète.


Plus agissante que les ferments qui travaillent le vin nouveau, la courtisane imprime aux richesses un vertigineux mouvement giratoire; elle lance dans la folle valse des millions, les fortunes les plus lourdes; dans ses nonchalantes mains, les mines, les usines, les banques, les rentes sur l’État, les vignobles et les terres à blé se dissolvent, coulent entre les doigts et se répandent dans les mille canaux du commerce et de l’industrie. La vermine qui monte à l’assaut des charognes, n’est pas plus épaisse que la nuée de domestiques, de mar­chands, d’usuriers, qui l’assiègent; ils tiennent béantes leurs insondables poches pour recueillir la