Page:Lafargue - Pamphlets socialistes, 1900.djvu/93

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La courtisane, que Dieu garde pour la joie des riches et des puissants, si elle est condamnée à soulever le voile des hypocrisies sociales, à toucher le fond des turpitudes humaines basses à lever le cœur, elle vit dans le luxe et les fêtes; nobles et bourgeois respectables et respectés, quémandent l’honneur de métamorphoser la Madame Tout-le-Monde en Madame Quelqu’un; et il lui arrive de clore la série de ses folles noces par une noce raisonnable. Au prin­temps de ses jours, les capitalistes déposent à ses pieds leur cœur qu’elle dédaigne et leurs trésors qu’elle dissipe; les artistes et les littérateurs voltigent autour d’elle, l’adulant d’hommages serviles et intéressés. A l’automne de ses ans, lasse et de graisse épaissie, elle ferme boutique et ouvre maison, et les hommes graves et les femmes prudes l’entourent de leur amitié et de leurs soins empressés, afin d’honorer la fortune qui récompense son travail sexuel.


Dieu comble la courtisane de ses grâces: à celle que l’imprévoyante nature n’a pas dotée de beauté et d’esprit, il donne du chic, du montant, du chien, de la roserie, qui séduisent et captivent l’âme distinguée des privilégiés du Capital.


Dieu la met à l’abri des faiblesses de son sexe. La nature marâtre condam­ne la femme au dur labeur de la reproduction de l’espèce; mais les lancinantes douleurs qui tenaillent le sein des mères ne sont infligées qu’à l’amante, qu’à l’épouse. Dieu, dans sa bonté, épargne à la courtisane les maculatures et les déformations de la gestation et le travail de l’enfantement: il lui accorde