Page:Lafenestre - Molière, 1909.djvu/120

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
114
MOLIÈRE.

si peu andalous ? Et ces représentants inoubliables de l’Hypocrite aux belles manières, du fier et digne Courtisan, du Mondain obligeant et tolérant, de la Coquette insensible et incorrigible, du Bourgeois vaniteux et du Bourgeois avare, Tartufe, Alceste, Philinte, Célimène, Harpagon, Jourdain, ou les placer, ou les reconnaître ailleurs qu’à Paris et à Versailles, au temps du jeune Louis XIV ?

De fait, plus l’impitoyable observateur s’accoutume et accoutume son public a voir net et parler franc, plus il accentue, dans la forme comme dans le fond, la réalité de ses victimes. Toutes les œuvres de sa dernière période, les Femmes savantes, la Comtesse d’Escarbagnas, le Malade imaginaire marquent sa volonté constante de préciser, avec plus de saillie, de couleur, de vivacité, le tempérament, les origines; l’éducation, les défauts spéciaux et les qualités particulières de ses personnages. C’est déjà moins Plaute et Térence que Lesage et Balzac. On a pu dire, avec raison, que son œuvre est un miroir fidèle de la France de Louis XIV ; il suffit, pour s’en convaincre, d’y comparer les mémoires et les correspondances du temps. Miroir incomplet, a-t-on ajouté ! Mais est-ce bien la faute de celui qui le tenait et le promenait, avec tant d’ardeur, autour de lui ? Qui sait ce qui s’agitait encore dans le cerveau de l’athlète terrassé, à cinquante et un ans, en pleine vigueur et clarté d’un génie toujours grandissant ? Qui sait si, dans ses reliques perdues, ne se trouvaient pas déjà les ébauches des peintures sociales qui semblent manquer encore à sa riche collection ?

Science du théâtre, force, exactitude, variété