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l’originalité.

lièrement applaudis, Gros-René, Scapin, etc., qu’il en forge lui-même de nouveaux, comme Sganarelle, Mascarille, Orgon, Tartuffe, Argan, au lieu de prendre, dans la société contemporaine, des noms réels et variés, s’ensuit-il que, sous ces étiquettes génériques, parlent et agissent des personnages moins bien situés et définis, et qu’ils ne soient ni de leur pays ni de leur temps ? Assurément Molière n’a guère souci de la couleur locale, au sens où nous l’entendons aujourd’hui ; on l’y peut même trouver plus indifférent encore que Corneille et surtout que Racine dont il n’a point la sensibilité plastique et pittoresque. Néanmoins on doit constater que lorsqu’il emprunte soit à l’Antiquité, soit à l’Espagne et à l’Italie quelques-uns des types consacrés, sitôt qu’il les introduit dans le milieu français, il les dépayse en attendant qu’il les remplace par des types du terroir. Plus il s’enhardit dans l’intelligence de la réalité, plus il accentue, même dans les appellations, l’origine et les caractères spéciaux de ses personnages, français ou étrangers, parisiens ou provinciaux. Depuis l’Étourdi, le Dépit, les Précieuses, jusqu’à la Critique et l’Impromptu, on peut suivre la rapide évolution d’un gallicisme dont il prend mieux conscience à chaque épreuve. Désormais, s’il emprunte au loin des scénarios célèbres tels que la Princesse d’Élide et Don Juan, il en transforme si bien l’esprit et le langage qu’ils deviennent des créations absolument françaises . Où trouver une peinture plus vive du cynisme spirituel des cavaliers libérons de la cour de Versailles, et, par avance, des roués de la Régence, qu’en ce séduisant et misérable Don Juan