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pensée et morale.

comme Philinte, n’est-ce pas à quoi la destinée nous contraint presque tous ? Là aussi le double personnage n’en fait qu’un. Alceste est le symbole de l’idéal de franchise, de justice, de vertu où l’on voudrait se hausser et se tenir, Philinte l’image réelle des accommodements extérieurs que les nécessités sociales nous obligent d’accepter dans le courant de la vie. Alceste pousse sa sincérité jusqu’à la dureté et l’injustice, Philinte sa douceur et sa politesse jusqu’à l’indifférence coupable. Il le fallait pour la comédie, mais n’en est-il pas de même dans la vie ? Peintre des autres, peintre de lui-même, c’est avec la même rigueur que Molière pousse à fond tous ses portraits. « Nous pouvons croire à la même sincérité lorsqu’il se défend par Alceste et Philinte, dit M. Jules Lemaître. Si bien que l’âme de Molière est également dans l’un et dans l’autre et qu’ils présentent tour à tour les deux attitudes du poète…. S’il est bon de s’indigner contre la vie, il est excellent de vivre…. N’empêche que Molière voudrait être Alceste, s’il le pouvait, je crois. » Nous ne saurions conclure ni mieux, ni autrement. Dans le Misanthrope, de même que dans Don Juan, c’est l’expression fidèle de deux états d’esprit contradictoires, vis-à-vis de la morale et du monde, par lesquels nous passons presque tous, sans pouvoir toujours en sortir avec la même clarté d’affirmation et d’idéal que le grand poète comique.