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MOLIÈRE.

toutes les sociétés régulières, ceux qui, par nature ou par conviction, ne se soumettent pas entièrement à leurs préjugés, habitudes et modes. Si Alceste n’était pas ridicule, pour son monde, à certains moments, il ne serait pas vrai. Et c’est parce qu’il le semble à ces gens-là, à nous aussi peut-être un peu, que notre respect pour lui s’augmente d’autant par notre compassion. Nous le plaignons, nous le respectons, nous l’admirons, nous sommes tous de cœur avec la bonne Éliante lorsqu’elle le défend :

Dans ses façons d’agir il est fort singulier,
Mais j’en fais, je l’avoue, un cas particulier.
Et la sincérité dont son âme se pique
À quelque chose en soi de noble et d’héroïque,
C’est une vertu rare au siècle d’aujourd’hui.

Et Molière est aussi de cœur avec elle ! Comme Alceste, il a subi les inquiétudes et les désespoirs de l’amour méconnu ou trompé, il a connu, comme lui, les impertinences, la bassesse, la vengeance des vanités blessées, les injustices des hommes et leurs méchancetés et, depuis longtemps grondaient en lui les révoltes et les colères qui éclatent tout à coup par la bouche du courtisan vengeur.

Mais, au-dessous de l’idéal, se traîne toujours la réalité. Ces révoltes et ces colères, le gentilhomme, dans son entourage même, ne peut les exprimer sans exciter de telles réprobations, de tels abandons, qu’il se trouve déjà presque seul avant de s’enfuir au désert. Comment un pauvre comédien eût-il pu se risquer à s’en faire, dans la vie ordinaire, le prédicateur et l’interprète ? Penser comme Alceste, vivre