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MOLIÈRE.

cachant le conspirateur Cinq-Mars dans un cabinet de l’Archevêché. D’après une autre, moins invraisemblable, c’est à Montfrin, près de Nîmes, qu’il aurait rencontré, dans une troupe de comédiens nomades, la belle et déjà fameuse Madeleine Béjart, la maîtresse-femme, qui devait avoir sur sa vie et sa carrière une si étonnante influence.

C’était une grande et belle fille, d’allure franche et hardie, un peu virile, avec une magnifique chevelure d’un blond ardent. Elle avait débuté, de bonne heure, en quelque troupe errante. En 1636, à dix-huit ans, elle a déjà si bien fait ses affaires qu’elle achète une petite maison avec jardin, pour 2 000 livres, dont moitié comptant et moitié emprunté. En 1638 elle est maîtresse en titre d’un gentilhomme avignonnais, le Seigneur de Modène et autres lieux. Quoique marié, ce noble aventurier lui reconnaît une fille, Françoise, baptisée à Saint-Eustache, à laquelle il donne pour parrain son propre fils légitime ; la marraine est Marie Hervé, mère de Madeleine. Singulier personnage que ce Seigneur de Modène, qu’on voit courir fortune à travers complots, intrigues, duels, champs de bataille, en France, en Allemagne, en Italie, en Hongrie ! Il revient, d’ailleurs, de temps à autre, à Madeleine. Au déclin de cette existence fantaisiste, c’est Madeleine qui le recueillera et lui épargnera une fin misérable en prenant le soin de ses affaires. Voilà le monde étrange où le jeune avocat, le philosophe convaincu, le lettré délicat, le poète franc et sensible, l’honnête fils de bourgeois réguliers va se trouver, tout d’un coup, jeté, entraîné, emporté à