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tenues. Du réfectoire des vendangeurs venait le bruit d’une agitation joyeuse qu’on ne pouvait interdire à leur troupe vers la fin du repas ; je souffrais de les entendre et de ce que cette lointaine gaîté osât se mêler à notre deuil ; ma mère n’en paraissait même pas troublée et demeurait si longtemps absorbée dans la prière et la douleur, qu’elle en oubliait mon existence et me laissait m’endormir sans son baiser.

Avec le sentiment que j’eus alors de son indifférence et la preuve que j’y crus voir d’un complet détachement, une grande résignation pénétra mon âme. Je considérai d’un cœur égal la fuite des jours, et ne sus plus s’il m’eût été préférable de rester ou de partir. Le malheur qui avait frappé ma vie, les vêtements noirs qui en témoignaient me faisaient une solitude à travers quoi rien ne pouvait m’atteindre, et que les railleries ne devaient plus franchir. Je ne redoutais rien des contacts dont j’avais craint de souffrir encore ; je sentais en moi assez de tristesse pour que