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LETTRES 1881-1882

comment j’ai dîné. Oh ! très bien ! Il me fallait une boulangerie, une charcuterie, une fruiterie. Trois de ces boutiques se trouvent tout près, à ma porte, dans la rue. Mais je n’aurais pas voulu que mes concierges prenant le frais sur le seuil me vissent ; j’ai été assez loin, dans une boulangerie j’ai acheté deux sous de pain qui ont disparu dans les profondeurs caverneuses de ma poche. Pour la charcuterie c’était plus difficile. Je passais et repassais devant sans oser entrer.

Tantôt intimidé de voir au comptoir deux jeunes charcutières aux joues roses et luisantes, aux manches immaculées, riant entre elles : à quoi bon les déranger ? Puis, devant une autre où je n’avais pas le même prétexte, ne voyant au comptoir qu’une vieille charcutière à palatine d’astrakan chauve sur ses épaules, j’hésitais encore, me demandant si c’était bien de la galantine que cette chose s’appelait. Enfin à une autre j’entre. Un homme borgne s’avance, ceint de son tablier, le coutelas effilé au côté. De la galantine, s. v. p. — Pour combien ? — Six sous, balbutiai-je. — Truffée ou non truffée ? — Diable, pensai-je, je n’ai jamais goûté de l’une ni de l’autre, et dans l’éclair d’une seconde, sous l’œil inquisiteur du charcutier, je me fis à part moi ce petit raisonnement : Si je prends