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Page:Laforgue - Œuvres complètes, t6, 1930.djvu/224

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ŒUVRES COMPLÈTES DE JULES LAFORGUE

que des toilettes simples ; les dames laissent toutes, et par ordonnance, leurs chapeaux au vestiaire. Aux tribunes, tous les pianistes des deux sexes de la capitale, la lorgnette braquée sur les doigts de l’exécutant, des piles de partitions sur les genoux. On se montre les critiques redoutés, entre autres le sympathique pianiste M…, marié à une Parisienne de Paris, qui, seule, se permet d’entrer ici sans déposer au vestiaire son chapeau à fleurs.

La salle est comble, quelques personnes, très intéressées sans doute, ont pris place sur l’estrade même, près du piano.

Parmi ces personnes, Jean l’Estrelle a naturellement cherché et reconnu, en s’asseyant, son étrange rivale. Elle le fixe et joue avec le gland de son éventail.

Jean l’Estrelle connaissait son public berlinois, il savait que Saint-Saëns avait été sifflé l’hiver précédent, et que, deux ans auparavant, à cette même place, Planté, sentant subitement des sueurs froides envahir ses poignets, avait dû se lever et demander à ce public, en français, la permission de se retirer un instant pour se remettre. Jean l’Estrelle n’avait ni la fougue géniale de Rubinstein, ni la glaciale fantaisie