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Page:Laforgue - Œuvres complètes, t6, 1930.djvu/81

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BERLIN. LA COUR ET LA VILLE

faitement avec tout cet ensemble voulu de tenue, avec ces toilettes jeunes et fleuries comme pour une idole, avec ces manières précieuses, avec cette voix qui, rude au fond, est constamment maintenue dans une gamme aiguë, plaintive et fragile.

Le premier mot de cette voix plaintive et un peu sibylline est toujours pour se dire excédée, demi-morte, tandis que lentement on se passe sur le front une main longue et pâle, avec la seule alliance à l’annulaire, une main extraordinairement soignée et dont on est très fière. On a devant soi un être tout en nerfs, et qui semble ne se soutenir que par là, un visage émacié et travaillé, avec deux yeux d’un gris à la fois insaisissable et implacable. Ces terribles yeux sont connus pour clouer les gens sur place et bien des dames d’honneur ont été longtemps avant de s’y pouvoir habituer ; mais dès que la bouche sourit, et d’autant plus que ce sourire a toujours l’air forcé, on a la sensation d’une faveur imméritée, et notre sublime Conseil Municipal lui-même, pourtant si aguerri, n’y résisterait pas. L’impératrice vit de rien : du thé, deux doigts de champagne, le reste à l’avenant. Depuis l’âge de neuf ans, elle n’a pas passé un