Page:Laforgue - Moralités légendaires.djvu/133

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Mais, par exemple, ce qu’ils désiraient absolument, c’était revoir leur vieil ami Iaokanann !

On suivit donc un fonctionnaire à clef brodée traversalement à l’échine, lequel s’arrêtant au bout d’un boyau sentant le nitre, désigna une grille qu’il vit s’abaisser, par un praticable, à hauteur d’appui ; et l’on put approcher et distinguer dans une cellule ce malheureux Européen qui se soulevait, dérangé de son à plat-ventre, le nez dans un désordre de papiers misérables.

S’entendant souhaiter un double cordial bonjour dans sa langue maternelle, Iaokanann s’était mis debout, rajustant ses grosses lunettes rafistolées de fil.

Oh ! mon Dieu, ses princes ici ! — Que de sales soirs d’hiver, ses socques buvant la boue de neige, au premier rang des pauvres diables rentrant de leur journée salariée et s’attardant un instant là, contenus par de tyranniques policiers à cheval, il les avait observés descendre empanachés des lourds carrosses de gala et monter, entre deux files de sabres au clair, le grand escalier de ce palais, de ce palais aux fenêtres a giorno duquel il montrait, en s’en allant, le poing, murmurant chaque fois que les « temps » étaient proches ! — Et maintenant, arrivés, ces temps ! accomplie au pays, la révolution promise ! et passé dieu, son pauvre vieux prophète Iaokanann ! et cette démarche personnelle royale, cette héroïque expédition lointaine de ses princes venant le délivrer, sans doute la touchante consécration exigée par les peuples pour sceller en lui l’avènement de la Pâque Universelle !