Page:Laforgue - Moralités légendaires.djvu/156

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si insaisissable ! Et voilà ; à lui de s’arranger pour être heureux, comme cette matinée s’est arrangée pour être heureuse.

C’est facile à dire. Pan se réabandonne à son galoubet imparfait mais fidèle et digne d’être appelé « mon vieux ». Il commence l’antique ballade : Je suis dégoûté des fraises des bois, et aussitôt s’arrête, dégoûté de la ballade elle-même.

Mais enfin ! Le thym frissonne entre ses membres, les frelons bourdonnent, les tiges d’ombelles sont bien à l’aise dans l’air charmant, les cigales commencent à cuire à petits cris, il fait heureux à perte de vue !

Et Pan, sentant qu’il a aussi sa raison d’être, reprend plus humainement sa ritournelle d’un grand amour :


Mon corps a mal à sa belle âme.
Ma belle âme a mal à son corps,
Voilà des nuits et des nuits que je brame,
Et je ne vois rien venir encor.

Ce n’est pas sa chair qui me serait tout,
Et je ne serais pas que le grand Pan pour elle,
Mais quoi ! aller faire les fous
Dans des histoires fraternelles !


Puis il se raisonne tout haut, en un petit aparté.

— Ô femme, femme ! toi qui fais l’humanité monomane ! Je t’aime, je t’aime ! Mais qu’est ce mot : Je t’aime ? D’où vient-il et que sonne-t-il avec ses deux syllabes quelconques et si neutres ? Pour moi, voici ce que je m’ai trouvé. Aime ne me dit quelque chose que lorsque j’associe à ce son, et par une inspiration non fantaisiste, le son du mot britannique