Page:Laforgue - Moralités légendaires.djvu/159

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est née pour en venir là, elle est outillée pour en venir là.

— Oui, se dit Pan…

— Hélas ! se dit Pan, et aux lendemains et aux surlendemains elle n’en aura pas moins ses grands yeux surhumains et tout unis et sa moue de l’autre monde !

Mais qu’importe ! Pan s’est, dans ses méditations, heurté à plus d’une antinomie aussi irréductible. Et aujourd’hui, malade de grand amour comme il l’est, il accepterait la Femme sans discuter.

Il a cessé déjouer ses petites machines. Il la regarde. Il n’ose encore parler, de peur de rompre le charme de cette apparition, imméritée après tout. Qu’il se persuade et se pénètre d’abord qu’elle est là, et que c’est du présent !

Ils se regardent. Lui, les dents serrées, les yeux tout malheureux ; elle, avec ses grands yeux tout unis et sa bouche d’enfant gâtée d’en haut, parfaitement comblée d’être, telle quelle et sans haut ni bas.

Aussi, c’est elle qui prend sur soi de rompre le charme puisque charme il y a. Sa voix est assurément traînante et nostalgique, mais inébranlablement fraîche.

— C’est très joli, ce que vous jouiez là.

— Oh ! un galoubet de deux sous. Si j’avais une flûte plus compliquée ! J’en ferais, des choses ! Je ne douterais plus de rien !…

Elle se tait, ne demandant qu’à être intéressée, qu’à être distraite par ce beau temps.

— Je ne douterais de rien, insista Pan ; pas même de…

— De quoi ?