Page:Laforgue - Moralités légendaires.djvu/193

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galops, les rafales, les soleils, les baignades, la belle étoile.

Elle n’a pas la face et les mains plus ou moins blanches que le reste du corps ; toute sa petite personne, à la chevelure roux soyeux tombant jusqu’aux genoux, et du même ton terre cuite lavé. (Oh, ces bonds ! ces bonds !) Tout armature et tout ressort et toute hâlée, cette puberté sauvageonne, avec ses jambes étrangement longues et fines, ses hanches droites et fières s’amincissant en taille juste au-dessous des seins, une poitrine enfantine, deux soupçons de seins, si insuffisants que la respiration au galop les soulève à peine (et quand et comment auraient-ils pu se former, toujours à aller ainsi contre le vent, le vent salé du large et contre les douches furieusement glacées des vagues ?) et ce long cou, et cette petite tête de bébé, toute hagarde dans sa toison rousse, avec ses yeux tantôt perçants comme ceux des oiseaux de mer, tantôt ternes comme les eaux quotidiennes. Bref une jeune fille accomplie. Oh ! ces bonds, ces bonds ! et ces abois de petite blessée qui a la vie dure ! Elle a poussé ainsi, vous dis-je, nue et inflexible et hâlée, avec sa toison rousse, dans les galops, les rafales, les soleils, les baignades, la belle étoile.

Mais où va-t-elle ainsi, ô puberté, puberté ?

Tout au bout, en promontoire, voici une singulière falaise ; Andromède l’escalade par un labyrinthe de rampes naturelles. De l’étroite plate-forme, elle domine l’île et la solitude mouvante qui isole l’île. Au milieu de cette plate- forme, les pluies ont creusé une cuvette, Andromède l’a pavée de galets d’ivoire noir, et y entretient une eau pure ; et c’est là son miroir, depuis un printemps, et son unique secret au monde.