Page:Laforgue - Moralités légendaires.djvu/194

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Pour la troisième fois aujourd’hui, elle revient s’y mirer. Elle ne s’y sourit pas, elle boude, elle cherche à approfondir le sérieux de ses yeux, et ses yeux ne se départent pas de leur profondeur. Mais sa bouche ! Elle ne se lasse pas d’adorer l’innocente éclosion de sa bouche. Oh ! qui comprendra jamais sa bouche ?

— Comme j’ai l’air mystérieuse tout de même ! songe-t-elle.

Et puis elle prend tous les airs.

— Et puis voilà, c’est moi ni plus ni moins ; c’est à prendre ou à laisser.

Et puis elle songe comme elle est sans distinction au fond !

Mais elle revient à ses yeux. Ah ! ses yeux sont beaux, touchants, et bien à elle. Elle ne se lasse pas de faire leur connaissance ; elle resterait là à les interroger jusqu’aux dernières lueurs du jour. Ah ! qu’ont-ils donc à se tenir si infinis ainsi ? Ou, que n’est-elle un autre, pour passer sa vie à les épier, à rêver de leur secret, sans faire du bruit !...

Mais elle a beau se mirer ! Tout comme elle-même, son visage attend toujours, sérieux et lointain.

Alors, elle se prend à sa rousse toison, elle essaye vingt combinaisons de coiffures, mais qui n’aboutissent qu’à des choses trop surchargées pour sa petite tête.

Et voici venir des nuées pluvieuses, qui vont troubler son miroir. Elle a là, sous une pierre, une peau de poisson séchée qui lui sert de lime à ongles. Elle s’assied et fait ses ongles. Les nuées arrivent, les nuées crèvent dans une grande