Page:Laforgue - Moralités légendaires.djvu/208

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Mais, ô prodige ! le charme n’opère pas.

Il ne veut pas opérer, le charme !

Par un effort inouï, en effet, la Gorgone a fermé ses yeux pétrificateurs.

La bonne Gorgone a reconnu notre Monstre. Elle se rappelle les temps riches et pleins de brises où elle et ses deux sœurs voisinaient avec ce Dragon, alors gardien du jardin des Hespérides, du merveilleux jardin des Hespérides, situé aux environs des Colonnes d’Hercule. Non, non, mille fois non, elle ne pétrifiera pas son vieil ami !

Persée attend toujours, le bras tendu, ne s’apercevant de rien. Le contraste est un peu trop grotesque entre le geste brave et magistral qu’il a pris ainsi et le raté de la chose ; et la sauvage petite Andromède n’a pu retenir un certain sourire ; un certain sourire que Persée surprend ! Le héros s’étonne ; qu’a donc sa bonne tête de Méduse ? Et bien que son casque,au fond, le rende invisible, ce n’est pas sans crainte qu’il se hasarde à regarder la face de la Gorgone, pour s’assurer de ce qui arrive là. C’est fort simple, le charme pétrificateur n’a pas opéré, parce que la Gorgone a fermé les yeux.

Furieux, Persée remet la tête en place, brandit son épée avec un ricanement vainqueur, et, serrant bien le divin bouclier de Minerve contre son cœur, il pique des deux (oh ! tandis que justement là-bas la pleine lune se lève sur le miraculeux miroir atlantique !) et fond sur le Dragon, pauvre masse sans ailes. Il le cerne par des voltiges éblouissantes, il le pique à gauche, il le pique à droite, et enfin l’accule dans une anfractuosité, et là, lui enfonce si merveilleusement son