Page:Laforgue - Moralités légendaires.djvu/207

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D’un gracieux mouvement, Persée fait virer sa monture qui, sans troubler le miroir de l’eau, vient s’agenouiller devant Andromède en présentant le flanc ; le jeune chevalier noue ses mains en étrier et, les inclinant devant la jeune captive, dit avec un grasseyement incurablement affecté :

— Allez, hop ! à Cythère !…

Ah ! il faut bien en finir ; Andromède va poser son rude pied dans ce délicat étrier, elle se retourne pour dire d’un signe adieu au Monstre. — Ah ! mais celui-ci vient de plonger entre eux,sous l’hippogriffe, et reparaît cabré, ses deux pattes en arrêt, montrant l’antre violacé de sa gueule qui darde une lancette de flamme ! L’hippogriffe s’effare, Persée recule, pour prendre du champ, et pousse des exclamations fanfaronnes. Le monstre l’attend, Persée se précipite, et aussitôt s’arrête :

— Ah ! je ne te ferai pas le plaisir de te tuer devant elle, crie-t-il ; heureusement les dieux justes ont mis plus d’une corde à mon arc. Je vais te… méduser !

Le petit chéri des dieux décroche de sa ceinture la tête de la Gorgone.

Sciée au cou, la célèbre tête est vivante, mais vivante d’une vie stagnante et empoisonnée, toute noire d’apoplexie rentrée, ses yeux blancs et injectés restant fixes, et fixe son rictus de décapitée, rien ne remuant d’elle que sa chevelure de vipères.

Persée l’empoigne par cette chevelure dont les nœuds bleus jaspés d’or lui font de nouveaux bracelets et la présente au Dragon, en criant à Andromède : — Vous, baissez les yeux !