Page:Laforgue - Moralités légendaires.djvu/212

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faire retentir ces rivages insensibles, maintenant ? Noble Monstre, son dernier mot a été pour moi : — Adieu, Andromède, je t’aimais et avec avenir si tu avais voulu ! — Oh ! comme je comprends maintenant le sérieux de ta grande âme ! et tes silences et tes après-midi et tout ! Trop tard, trop tard ! Mais sans doute ainsi en avaient ordonné les dieux. Ô dieux de justice, prenez la moitié de la vie d’Andromède, prenez la moitié de ma vie et rendez -moi la sienne, afin que je l’aime et le serve désormais avec fidélité et gentillesse. Ô dieux, faites cela pour moi, vous qui lisez dans mon cœur et savez combien, au fond, je l’aimais, encore qu’aveuglée par de passagères lubies de croissance, et n’ai jamais aimé que lui, et l’aimerai toujours !

Et la noble Andromède promène l’adorable éclosion de sa bouche sur les paupières closes du Dragon. Et soudain se recule !...

Car voici qu’à ses paroles fatidiques, à ces baisers rédempteurs, le Monstre tressaille, ouvre les yeux, pleure en silence et la regarde... Et puis il parle :

— Noble Andromède, merci. Les temps d’épreuve sont accomplis. Je renais, et je vais renaître correctement pour t’aimer, et qu’il n’y ait ni mot ni minute pour nommer ton bonheur. Mais apprends qui je suis, et quel fut mon destin. J’étais de la race maudite de Cadmus vouée aux Furies ! Je prêchais la dérision de l’être et le divin du néant dans les bosquets de l’ Arcadie. Pour me punir, les dieux de vie me changèrent en Dragon, me condamnant à garder, sous cette forme, les trésors de la terre, jusqu’à ce qu’une vierge m’aimât, moi