Monstre, pour moi-même. Dragon à trois têtes, j’ai longtemps gardé d’abord les pommes d’or du jardin des Hespérides ; Hercule vint et m’égorgea. Puis je passai en Colchide, où devait aborder la Toison d’Or. Sur le bélier à toison d’or arrivaient Phryxus de Thèbes et sa sœur Hellé. Un oracle m’avait fait entendre qu’Hellé serait la vierge promise. Mais elle se noya en voyage, et donna son nom au détroit d’Hellespont. (J’ai su depuis qu’elle n’était pas très jolie.) Et vinrent alors ces étranges Argonautes, comme on n’en reverra plus !... Époques splendides ! Jason était leur chef, Hercule suivait, et son ami Thésée, et Orphée qui se faisait fort de me charmer avec sa lyre (et qui devait avoir plus tard une fin si tragique !) et aussi les deux Gémeaux ; Castor, dompteur de chevaux, et Pollux, habile au pugilat. Époques évanouies !... Oh ! leurs bivouacs, et les feux qu’ils allumaient aux soirs ! — Enfin je fus égorgé devant cette toison d’Or du Saint-Graal, grâce aux philtres de Médée qui brûlait d’un amour insensé pour le somptueux Jason. Et les cycles recommencèrent ; et j’ai connu Etéocle et Polynice, et la pieuse Antigone, et les perfectionnements de l’armement mettant fin aux temps héroïques. Et enfin l’étrange et accablante Éthiopie, et ton père et toi, ô noble Andromède, Andromède plus belle que toutes, à qui je dois de pouvoir te rendre si heureuse qu’il n’y aura ni mot ni minute pour nommer ton bonheur.
En achevant ces mots mirifiques, le Dragon, sans crier gare ! s’est changé en un jeune homme accompli. Accoudé à l’entrée de la grotte, sa peau humaine inondée des enchantements du clair de lune, il parle d’avenir.