Page:Laforgue - Moralités légendaires.djvu/37

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instant ma folie d’apôtre, comme Çakya-Mouni fils de roi ! Oh ! là, là, moi avec ma chère petite vie unique (que j’aurai à partager avec une chère petite femme unique) attacher ce grelot ! Et prendre pour cela ma folle tête sonore ! Ne soyons pas plus prolétaire que le prolétaire. Et toi, Justice humaine, ne soyons pas plus forte que Nature. Oui, mes amis, mes frères ! L’au-petit-bonheur historique, ou la purgation apocalyptique, le bon vieux Progrès ou le retour à l’état de nature. En attendant, bon appétit et amusez-vous bien demain dimanche.

La montée du sentier qui mène à la grille du cimetière est pénible. Hamlet se renfrogne et froisse des coquelicots dans ses doigts. Il arrive trop tard ; la cérémonie concernant Polonius est enterrée ; les dernières silhouettes officielles sortent. Hamlet s’accroupit derrière une haie pour les laisser passer sans être vu. Quelqu’un donne le bras à Laërtes, fils du défunt, qui fait peine à voir. Une voix dit, comme d’un poussé à bout : « Hé ! quand on a un fou à la maison, on l’enferme ! »

En se relevant, Hamlet remarque qu’il vient d’endommager gravement une fourmilière. — « Autant que faire ! pense-t-il. Et pour que le Hasard m’ait des obligations »... Et il achève ladite fourmilière à coups de talon.

Tout le monde est sorti. Hamlet ne trouve dans le cimetière que deux fossoyeurs. Il s’approche du premier, lequel arrange les couronnes déposées sur la tombe de Polonius.

— Nous n’aurons son buste que le mois prochain, lui déclare cet homme, sans y être autrement invité.