Page:Laforgue - Moralités légendaires.djvu/38

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— De quoi est-il mort ? Sait-on ?

— D’une attaque d’apoplexie. C’était un bon vivant.

Alors, là, Hamlet, qui, en conscience, et malgré son âme si lettrée, ne s’en était pas encore avisé, sent qu’il a décidément tué un homme, supprimé une vie, une vie dont on peut témoigner. Le nommé Polonius… il guignait devant lui au moins quarante bonnes années encore (Polonius vous faisait à tout propos tâter sa santé de fer) et Hamlet les a, d’une estocade irréfléchie mais fatale, ma foi, rayées, comme on biffe dans un exorbitant devis d’architecte. Est-ce que ces menus conflits de phénomènes riment à quelque chose au delà d’ici-bas ?

Hamlet se campe devant ce fossoyeur qui l’observe, attendant des compliments sur son arrangement des couronnes ; il le toise supérieurement et puis lui aboie par la figure : « Words ! words ! words ! entendez-vous ! des mots, des mots, des mots ! »

Et il se dirige vers l’autre fossoyeur, sans entendre celui-ci lui crier un : « Eh, va donc, fainéant ! »

— Et vous, mon brave homme, que faites-vous là ?

— Sa Seigneurie le voit, je retape les vieilles tombes. Ah ! il y a beaux jours que les vieux ont séché les plâtres par ici. Notre cimetière est toujours resté aussi petit, cependant que les bontés du feu roi doublaient presque la population de sa bonne ville.

Le fossoyeur un peu pris de vin tâche à se caler sur sa bêche.

— Ah ! ah ! vraiment ? doublé la population…