Page:Laforgue - Moralités légendaires.djvu/48

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simplement un chagrin si profond que toutes les années d’endurcissement social et de raison crèvent et se noient dans cette source rejaillie de l’enfance, de la créature primitive incapable de mal. — Adieu beaux yeux, quand même inviolés car inapprivoisables, d’Ophélie ! Il se fait tard, il faut agir ; à demain les baisers et les théories.

Hamlet descend pour voir comment sa pièce est mise en train.

Un corridor, où d’ordinaire campe la réserve de buffet des grands bals de gala, a été divisé en cabinets et doit servir de coulisses à ces comédiens.

Hamlet, sans y trop songer, pousse doucement la porte d’un de ces cabinets et entre. Il s’arrête dès le seuil. Là, vraiment, parmi les coffres déballés, éplorée comme une Madeleine, toute hoquetante des derniers sanglots d’une crise, cette actrice Kate gît sur le parquet, en robe de brocart rouge lamé d’or à traîne, mais sans corsage encore, les bras et les épaules offerts, la poitrine nature en une chemisette à plissés merveilleux, là, en pauvre créature, peut-être consolable.

Hamlet clôt dextrement et doucement la porte derrière lui, et s’approche de cette nouvelle histoire.

— Eh bien ? qu’est-ce que c’est, Kate ? Qu’est-ce que vous avez ?

La belle Kate ne s’émeut pas plus que cela de la présence de son Altesse. Elle reste encore des minutes ainsi prostrée dans la supériorité de ses larmes, dans la supériorité de son enfance retrouvée. Puis (comme il faut toujours bien agir) elle se lève ; et sans plus s’occuper de son Altesse que pour