Page:Laforgue - Moralités légendaires.djvu/50

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et Kate, qui a passablement roulé, a roulé rien moins qu’épiquement. Elle a roulé, ô misère ! Ô petites villes, abat-jour des lampes, intermédiaires crasseux, claquements de portes ! Ô misère, ô occasions ! Elle a roulé, et cependant elle est là, elle vous regarde ; et la moue de sa bouche est une campanule éclose de ce matin, et ses grands yeux inconnus balbutient : « Quoi ?… Ah ?… » et quelle modestie dans ce doux chignon sur cette nuque délicate ! — Ah ! laissez donc, elle est de l’autre sexe, elle est esclave, elle ne sait pas...

Elle ne sait guère, et Hamlet ne sait que promener de pitié et de chatterie la moue de ses lèvres adolescentes sur la peau tendrement rincée de ses chastes épaules abattues de chagrin, et se montrer créature, créature sans phrases.

Mais non ! les prairies naturelles sont loin, à cette heure ! Il faut d’abord faire table rase, et dès ce soir !

— Maintenant, Kate, vous allez me dire pourquoi ces larmes où je vous ai trouvée, ô vous qui ne me connaissiez pas hier et trouvez ce soir mes baisers naturels. Il faut me dire.

— Oh ! non, jamais.

— C’est donc bien vilain, alors ? Voyons, à moi…

Et comme il achève ce mot dans ses épaules où il passe et repasse ses joues, elle le regarde en face, baisse les yeux, s’étire les bras, et dit, très ennuyée, d’une voix maussade :

— Eh bien, voilà ! Je ne suis qu’une malheureuse, mais j’ai l’âme haut placée, qu’on le sache. Dieu sait si j’en ai consommé, sur les planches, des héroïnes sublimes ! Mais, quand j’ai lu les scènes de l’enfance et des premières fiançailles de