Page:Laforgue - Moralités légendaires.djvu/51

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mon rôle, dans votre espèce de pièce, oh, tenez !... Comme c’est ça, notre pauvre destinée pitoyable et impitoyable ! Oh ! vous devez être unique et incompris ! et non pas fou, comme ces gens à cure-dent et à éperons le disent. Mais aussi que vous avez dû en faire souffrir ! — Alors, voilà, c’est bien simple... Non ! non !

— Continue, continue, Ophélia.

— Oh ! tenez, voilà, en m’habillant je me répétais le monologue à l’église, et soudain mon cœur a crevé de nouveau dans ses larmes, et je me suis laissée aller sur le plancher. Si vous saviez comme j’ai un grand cœur ! Ah ! j’en ai assez de cette existence cynique et vide ! Demain je quitte tout, je reviens à Calais et j’entre en religion pour me consacrer aux pauvres blessés de la guerre de Cent Ans.

Hamlet, quoique bien élevé, ne peut guère contenir son allégresse d’artiste. C’est son baptême de poète ! et cette comédienne le lui apporte, ainsi enveloppé, de la première scène de Londres. Et voilà Hamlet qui surmène la pauvre Kate d’explications, se fait indiquer les moindres mots, et, de tout son cœur cosmique, se mire dans ces yeux connaisseurs que son génie vient d’élargir de gloires.

— Alors, tu crois que, devant un public de capitale et aux lumières, l’effet serait renversant ? Et qu’on me regarderait passer dans les rues en s’étonnant de mon allure triste ? Et que d’aucuns se tueraient devant l’énigme de ma vie ! Ô Kate, si tu savais ! Ce drame-ci, ce n’est rien, je l’ai conçu et travaillé au milieu de répugnantes préoccupations domestiques. Mais j’en ai encore, là-haut, des drames et des poèmes,