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Page:Laforgue - Moralités légendaires.djvu/67

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à sept heures et demie, jouer son choral d’ouverture de la journée, puis, l’après-midi, sous les acacias de la Promenade (oh ! les soli de la petite harpiste qui se met en noir, et se pâlit avec de la poudre, et lève les yeux au plafond du Kiosque, pour se faire enlever par quelque exotique névropathe à l’âme frémissante comme sa harpe !) puis le soir dans la lumière électrique obligée (oh ! la marche d’Aïda sur le cornet à pistons, vers les étoiles indubitables et chimériques !...)

Donc, en définitive, cette petite station de luxe, la voilà comme une ruche distinguée, au fond d’une vallée. Tous, des couples errants, riches d’un passé d’on ne sait où ; et point de prolétaires visibles (oh ! que les capitales fussent de fines villes d’eau !) rien que des subalternes de luxe, grooms, cochers, cuisiniers blancs sur le pas des portes le soir, conducteurs d’ânes, piqueurs de vaches laitières pour phtisiques. Et toutes les langues, et toutes les têtes qu’embellit la civilisation.

Et au crépuscule, à la musique vraiment quand, bâillant un peu, on lève les yeux et voit cet éternel cercle de collines bien entretenues, et ces promeneurs qui tournent avec des sourires aigus et pâles, on en a à la folie le sentiment d’une prison de luxe, au préau de verdure, et que c’est tout des malades déposés là, des malades de romanesque et de passé, relégués là loin des capitales sérieuses où s’élabore le Progrès.

On soupait tous les soirs sur la terrasse ; non loin, la table de la princesse T… (grande brune mal faite et surfaite) qui croyait faire de l’esprit (quelle erreur !) parmi ses familiers