Page:Laforgue - Moralités légendaires.djvu/82

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sacrée comme à la messe au moment de l’élévation, encensoirs élevés par nuages d’hommages ! Tout le monde était aux anges.’

Mais pour Ruth, l’infortunée et typique héroïne que j’ai assumée ! ce silence fascinant à crier, cette sonnette grêle et implacable comme un Jugement Dernier, n’est-ce pas l’appareil des désolations des désolations des injustes vallées d’outre-tombe où erre l’autre, le Suicidé, le Suicidé par trop d’amour, le Suicidé sans phrases, avec son trou au front ?...

Elle déjoint ses mains fébrilement pieuses et, s’accrochant au bras de son frère, la voilà qui se remet à vagir du fond de ses limbes somnambulesques :

— Le sang, le sang, là sur les gazons !... Tous les parfums de l’Arabie... Ô Patrick, si seulement je savais pourquoi. Moi plutôt qu’une autre, dans ce vaste monde où notre sexe est en majorité ?...

Patrick pourrait lui crier à la fin, et devant tout le monde : « C’est toi qui as commencé ! » Mais non, il lui caresse les mains, il lui donne son flacon de sels de musc, doucement, et attend sans scandale, bien que la sentant évanouie.

Le prêtre porteur du Saint-Sacrement se tourne ostensiblement un instant vers la riche jeune malade, et la gratifie à distance d’un remuement de lèvres de son saint ministère.

Et, au même moment, on voit une petite fillette, une petite fillette poussée par un jeune homme qui radieux et crispé se tient là, sortir des rangs, et, rouge de honte, mais comme subissant des ordres terribles, monter le perron et venir effeuiller autour de la chaise-longue de la pauvre éva-