Page:Laforgue - Moralités légendaires.djvu/83

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nouie toutes les roses roses de sa corbeille. (Elle faillit d’ailleurs tomber en redescendant.)

Il y a dans la vie des minutes absolument déchirantes, déchirantes pour toutes les classes de la société. Celle-ci n’en fut pas, mais il en est ; et l’exception ne saurait que confirmer la règle.

La procession se remettait en marche, le Saint-Sacrement allait maintenant encenser la Sainte Thérèse d’un hystérique rococo polychrome de l’hôtel d’Angleterre, avant d’encenser à son tour le blason-reposoir de la duchesse H. Les cantiques avaient repris en tête, et la queue de la procession défilait.

Elle défilait, la queue de la procession. D’abord les valets de la reine déchue ; puis, sur deux files, tout un sénat de bourgeois, chapeau à la main, indélébilement stigmatisés par leurs métiers, des apoplectiques bouchers aux pâtissiers pâles ; puis des paysans, voûtés, stratifiés, crânes mal venus, le béret à la main, deux ou trois avec des béquilles, quelques-uns solitaires se racontant des oraisons ; puis les sœurs de charité, larges manches en manchon, cornettes aux ailes palpitantes comme des Saint-Esprit monstrueusement empesés par une religion aux rites envolés ; puis des dames à ombrelles, et des bonnes ; puis des paysannes à châle d’antan, à goitres tannés ; de distance en distance un homme ou une femme égrenait un chapelet à haute voix, tandis que les voisins murmuraient les répons.

Et la procession de la Fête-Dieu finissait par finir, bêtement tronquée, sur un timide groupe de bonnes.