Page:Laforgue - Moralités légendaires.djvu/84

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Et le public indépendant s’écoulait, dans la poussière et les pétales foulés, vers les déjeuners à la carte.

Cependant, tandis qu’on défait le reposoir :

Adieu paniers, vendanges sont faites !…

Ruth s’est réveillée, elle regarde, elle exulte, une main sur la plaque d’émail qui cadenasse sa poitrine sans sexe, de l’autre montrant autour d’elle :

— Ô Patrick, Patrick ! Vois des roses à la place ! Plus de sang, mais des roses d’un sang passé et désormais racheté. Oh ! donne-m’en une que je touche...

— Tiens, mais c’est pourtant vrai ! fait Patrick sans y penser, d’instinct tendre et tout à sa sœur. Oh ! du sang changé en roses, en vérité !...

— Alors, il est sauvé, Patrick ?

— Il est, ma foi, sauvé.

Elle emplit ses mains de ces pétales et sanglote dedans.

— Oh, le pauvre ! Maintenant je n’aurai plus à m’occuper de sa situation.

Et cela s’achève en une quinte de toux qu’il faut arroser de cet éternel sirop benzoïque.

Et en effet, grâce aux roses roses, si à propos effeuillées là, de cette fillette anonyme, Ruth était exorcisée de ses hallucinations, et pouvait désormais s’adonner sans partage au seul et pur travail de sa tuberculose, dont elle reprit le journal d’une plume trempée dans un encrier à fleurs bleues genre Delft.

Inutile de dire qu’elle ne sut jamais que, le soir même de cette Fête-Dieu, le frère de la fillette à la corbeille de roses