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Page:Lahontan - Dialogues avec un Sauvage.djvu/115

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Mais, mon Frére, di-moy, je te prie, les François en sont-ils plus sages pour s’imaginer qu’une fille est pucelle, parce qu’elle crie, & qu’elle jure de l’estre ? Or, supposons qu’elle soit telle qu’il la croit, la conqueste en est-elle meilleure ? Non vraiment ; au contraire, le Mari est obligé de luy aprendre un exercice qu’elle met ensuite en pratique avec d’autres gens, lorsqu’il n’est pas en état de le continuer journellement avec elle. Pour ce qui est des Femmes que nous épousons aprez la séparation de leurs Maris ; n’est-ce pas la même chose que ce que vous appellez se marier avec des Veuves ? Néanmoins avec cette diférence que ces Femmes ont tout lieu d’estre persuadées que nous les aimons, au lieu que la plupart de vos Veuves ont tout sujet de croire que vous épousez moins leurs corps que leurs richesses. Combien de désordres n’arrive-t’il pas dans les Familles par des mariages comme ceux-là ? Cependant, on n’y rémédie pas, parce que le mal est incurable, dez-que le lien conjugal doit durer autant que la vie. Voici encore une autre peine parmi vous autres qui me paroît tout à fait cruelle. Votre mariage est indissoluble, cependant une fille & un Garçon qui s’aiment reciproquement ne peuvent pas se marier ensemble sans le consentement de leurs Parens. Il faudra qu’ils se marient l’un & l’autre au gré de leurs Péres, & contre leurs desirs, quelque répugnance qu’ils ayent, avec des personnes qu’ils haïssent mortellement. L’inégalité d’âge, de bien, & de condition causent tous ces désor-