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Page:Laisnel de La Salle - Croyances et légendes du centre de la France, Tome 1.djvu/212

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souvenirs du vieux temps

paît dans les herbages. On essaie souvent de la tuer avec des balles que l’on a fait bénir le jour de la Chandeleur ; mais, à chaque coup de fusil, la Levrette fait des bonds prodigieux, et, loin de l’abattre, il semble que les balles qu’on lui lance ne servent qu’à activer son incroyable agilité.

L’histoire suivante prouverait néanmoins que la Levrette peut se laisser prendre à certains pièges. Cette histoire se raconte de plusieurs façons dans nos campagnes ; nous ne saurions mieux faire que de choisir le récit qu’en a donné M. Charles Rousselet dans ses Chroniques populaires du Berry[1] :

« Nos paysans sont persuadés que, pendant la nuit de Noël, les diables courent la campagne sous diverses formes d’animaux, et ils regardent comme une insigne témérité de tendre des lacs en ce saint temps.

« Je me rappelle, à ce propos, le conte que nous faisait un ancien domestique du collége de Saint-Amand, où l’on m’avait mis en pension ; conte qu’il affirmait sur ses grands dieux, et qu’il croyait sans doute à force de le répéter, comme je le croyais moi-même à force de le lui entendre dire. C’était précisément par le 25 décembre 1783. Il était jeune et superbe ; aussi s’avisa-t-il, malgré les représentations de son père, de tendre des collets dans l’ancien cimetière de Mont-Rond. Il y court au sortir de la messe de minuit et voit pris au piége un lièvre, qui, au lieu de l’attendre, se coupa la patte avec ses dents. Lui de le poursuivre, l’autre de se sauver aussi vite que le lui permettait sa blessure. Enfin, après une longue course, ils arrivent tous les deux au bord du Cher, et au moment où le chasseur allait mettre la main sur sa proie, la maligne bête franchit la rivière d’un seul bond, puis, se tournant vers notre homme, épouvanté de ce saut formidable : « Eh bien, l’ami, s’écria-t-il, est-ce bien sauté pour un boiteux ? »

  1. Paris. Lecointe et Pougin, 1830.