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souvenirs

décent, que l’on prend en famille au retour de la messe, — présidait, en vrai Balthazar, à une monstrueuse orgie, tandis que la cosse de Nau flamboyait dans l’âtre et que sa femme et ses enfants étaient encore à l’église.

Le fermier, malgré les vapeurs bachiques qui enfumaient son cerveau, fut frappé du masque effaré de François, à son apparition dans la salle.

— Eh bien, qu’y a-t-il ? lui demanda-t-il brutalement.

— Il y a que les bœufs ont parlé, répondit le boiron consterné.

— Et qu’ont-ils chanté ? reprit le maître.

— Ils ont annoncé qu’ils vous porteraient demain en terre ; c’est le vieux Morin[1] qui l’a dit, et il m’a même envoyé vous en avertir, afin que vous ayez le temps de vous mettre en état de grâce.

— Le vieux Morin en a menti ! et je vais lui donner une correction, s’écria le fermier, le visage empourpré par le vin et la colère.

Et, sautant sur une fourche de fer, il s’élança hors de la maison, et se dirigea vers les étables. Mais il était à peine arrivé au milieu de la cour qu’on le vit chanceler, étendre les bras et tomber à la renverse.

Était-ce l’effet de l’ivresse, de la colère ou de la frayeur ?

— Nul ne le sait.

Toujours est-il que ses amis, accourus pour le secourir, ne relevèrent qu’un cadavre, et que la prédiction du vieux Morin se trouva accomplie.

Depuis cette aventure, que l’on dit fort ancienne, les bœufs ont toujours continué à prendre, une fois l’an, la parole ; mais personne n’a plus cherché à surprendre le secret de leur conversation.

  1. Nous donnons ordinairement ce nom aux bœufs de couleur noire. — Voy. à la table alphabétique : Nom des bœufs.