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perdaient confiance dans leur habileté à conduire la campagne. Parmi les troupes coloniales, l’enthousiasme des premiers jours avait faibli et fait place à un pessimisme inquiétant. Des murmures sourds grondaient parmi les soldats, qui ne se gênaient pas pour dire qu’on les conduisait à la boucherie sans raison. Entre eux, ils traitaient les généraux de jackasses (ânes).

J’observai en moi-même un curieux état psychologique. Je m’amusais à observer les figures glabres des officiers anglais, avec qui j’étais en contact journalier et qui semblaient offusqués du moindre sourire de ma part. C’est que je n’étais pas dans le même état d’âme qu’eux. Que me faisait à moi l’humiliation d’Albion ? N’avait-elle pas un jour, tout comme aujourd’hui, envahi notre beau sol canadien et arraché à la France le plus beau joyau de sa couronne royale ? Ce drapeau anglais que l’on avait arboré un jour sur le rocher de Québec, il était lacéré par l’ennemi, troué de balles et humilié. Je m’en réjouissais, sans m’en rendre compte.

Je réfléchis longtemps sur cet état d’âme, qui me paraissait si étrange. Était-ce que je voyais, dans cette armée de Boers, luttant bravement pour conserver leur liberté, les régiments de Montcalm, succombant dans un combat héroïque sur les Plaines d’Abraham, où le drapeau français dut se replier pour repasser les mers, disant adieu pour toujours au grand fleuve, au