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dossiers, la douce fermeté qu’il montrait en face des difficultés à surmonter avec des employés beaucoup plus âgés ; tout lui faisait admirer André. Elle ne laissa cependant rien percer de ce qui se passait dans son cœur. Sentant la distance qui les séparait, André s’était toujours montré d’une correction parfaite, craignant sans doute de subir les reproches de son patron ou d’essuyer le ridicule d’une prétention exagérée. Il sentait cependant dans son être une flamme qui ne l’avait jamais brûlé jusque-là. Ce feu qui le dévorait était bien, semblait-il, celui de l’amour. Il en sentait les morsures cruelles, sans espoir d’y appliquer le baume qui seul aurait pu le soulager : l’occasion inespérée de lui ouvrir son cœur. Il s’était fait à l’idée de l’aimer silencieusement, sans retour. Stoïquement, il décida d’endurer ce mal intérieur, véritable torture pour le cœur de celui qui, pour une raison ou pour une autre, doit garder le silence et aimer de cet amour muet, sorte de folie enivrante que le sacrifice sanctifie.

Quand Monsieur Drassel jugea le temps opportun, il boucla ses malles pour l’Écosse, où il n’était retourné qu’une seule fois depuis qu’il avait quitté son pays pour venir s’établir au Canada. Son itinéraire comprenait aussi l’Angleterre, la France et l’Allemagne ; mais il devait séjourner deux semaines à New-York avant de s’embarquer.

Contrairement à son habitude, Monsieur Drassel était taciturne avant son départ. Il lui en coûtait