Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 6.djvu/323

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Genève. Le Jourdain, dans cet endroit, qui doit être à peu près le milieu de sa course, ne serait pas digne du nom de fleuve dans un pays à plus larges dimensions ; mais il surpasse cependant de beaucoup l’Eurotas et le Céphise, et tous ces fleuves dont les noms fabuleux ou historiques retentissent de bonne heure dans notre mémoire, et nous présentent une image de force, de rapidité et d’abondance, que l’aspect de la réalité détruit. Le Jourdain ici même est plus qu’un torrent : quoiqu’à la fin d’un automne sans pluie, il roule doucement, dans un lit d’environ cent pieds de large, une nappe d’eau de deux ou trois pieds de profondeur, claire, limpide, transparente, laissant compter les cailloux de son lit, et d’une de ces belles couleurs qui rend toute la profonde couleur d’un firmament d’Asie, — plus bleue même que le ciel, comme une image plus belle que l’objet, comme une glace qui colore ce qu’elle réfléchit. À vingt ou trente pas de ses eaux, la plage, qu’il laisse à présent à sec, est semée de pierres roulantes, de joncs, et de quelques touffes de lauriers-roses encore en fleurs. Cette plage a cinq à six pieds de profondeur au-dessous du niveau de la plaine, et témoigne de la dimension du fleuve dans la saison ordinaire des pleines eaux. Cette dimension, selon moi, doit être de huit à dix pieds de profondeur sur cent à cent vingt pieds de largeur. Il est plus étroit, plus haut et plus bas dans la plaine ; mais alors il est plus encaissé et plus profond, et l’endroit où nous le contemplions est un des quatre gués que le fleuve a dans tout son cours. Je bus dans le creux de ma main de l’eau du Jourdain, de l’eau que tant de poëtes divins avaient bue avant moi, de cette eau qui coula sur la tête innocente de la Victime volontaire ! Je trouvai cette eau parfaitement douce, d’une saveur agréable, et d’une grande